« Il n’y a plus de limites de portée pour les armes qui ont été livrées à l’Ukraine. Ni par les Britanniques, ni par les Français, ni par nous. Ni par les Américains », a déclaré Friedrich Merz, lors d’un entretien à la télévision publique WDR à Berlin. « Cela signifie que l’Ukraine peut désormais se défendre, par exemple en attaquant des positions militaires en Russie […] ce qu’elle ne faisait pas il y a quelque temps, à quelques exceptions près. Elle peut le faire maintenant », a déclaré le dirigeant conservateur allemand, entré en fonction au début du mois.
Malgré ces annonces, le chancelier s’est montré ambigu sur des nouvelles livraisons d’armes par l’Allemagne et notamment des missiles Taurus d’une portée de 500 km. Son prédécesseur, Olaf Scholz, avait catégoriquement refusé de fournir les missiles allemands Taurus aux Ukrainiens.
Alors que les dernières tentatives de négociations pour un cessez-le-feu entre Russes et Ukrainiens en Turquie ont échoué et que les frappes russes se sont intensifiées ces derniers jours, la levée des limitations de portée peut-elle avoir un impact sur le conflit ? Explications avec Olivier Kempf, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, ancien général et directeur du cabinet stratégique La Vigie. Entretien.
Qu’est-ce que les déclarations de Friedrich Merz et la levée des limitations de portée peuvent avoir comme conséquence pour l’Ukraine ?
Sur le plan opérationnel, c’est une bonne nouvelle pour l’Ukraine. La levée des limites de portée pour les armes livrées va permettre de légèrement desserrer l’étau. En revanche, cela ne va pas changer la face du conflit ou inverser radicalement le rapport de force qui restera en faveur de la Russie.
Le fait de pouvoir frapper l’intérieur du territoire russe ne peut pas faire évoluer le rapport de force ?
Les missiles Taurus peuvent soulager les Ukrainiens et leur longue portée présente un intérêt tactique. En visant des lignes de chemin de fer, des ouvrages d’art ou des sites industriels, les Ukrainiens peuvent gêner, gripper le dispositif russe, mais cela ne bouleversera pas le rapport de force. Par ailleurs, l’utilisation de ces missiles pour atteindre des objectifs militaires déterminants n’est pas si simple. Pour que ces missiles soient utiles, il faut mobiliser le renseignement pour identifier précisément les cibles, dissimuler ses objectifs, utiliser des leurres, ça n’a rien de simple. Ensuite, on ne tire pas ces missiles depuis la frontière, donc la capacité de pénétration du territoire russe est réduite. Malheureusement, ce n’est pas la livraison d’une centaine de missiles allemands qui va changer le cours de la guerre.
Si les missiles ne peuvent pas inverser le rapport de force, quel est l’objectif recherché par le gouvernement allemand ?
L’essentiel est sur le plan politique. D’abord en politique intérieure allemande où Friedrich Merz veut prendre ses distances et se distinguer de la ligne « pacifiste » de son prédécesseur Olaf Scholz qui refusait de lever les restrictions et freinait des quatre fers pour ne pas livrer les missiles Taurus. Par ailleurs, le sujet avait été évoqué pendant la campagne et la question se posait au moment de la conclusion de l’accord de coalition. Pour le chancelier, il s’agit donc d’une décision de politique intérieure mais également de politique extérieure. Sur le théâtre européen, l’Allemagne essaye de se replacer au centre du jeu et ne pas laisser le leadership à Paris et Londres. Il y a donc un enjeu d’affirmation du rôle de l’Allemagne dans le soutien à l’Ukraine. Enfin, même si le chancelier allemand cite le Royaume-Uni, les Etats-Unis et la France, cette décision n’engage que lui.
La levée des restrictions et de nouvelles livraisons d’armes pourraient-elles avoir des conséquences sur les négociations entre la Russie et l’Ukraine pour un cessez-le-feu ?
Les Européens, et le chancelier Merz font ce qu’ils peuvent pour aider Zelensky dans les négociations, mais cela n’aura aucune incidence. Notamment, parce que les Russes ne veulent pas que les Européens soient impliqués dans les négociations qui ont désormais vocation à être bilatérales, entre les Russes et les Ukrainiens. Par ailleurs, ça ne va pas inverser le rapport de force et les Russes n’ont pas relâché la pression malgré l’entame de négociations. Au contraire, on observe une relance importante des opérations depuis le printemps et ça devrait continuer comme ça. Sur le fond, tout le monde a bien compris que les livraisons d’armes, peu importe leur qualité et leur quantité, ne changeront pas le cours de la guerre sur le terrain.