L’intelligence artificielle va encore mieux vous connaître. A compter de ce jeudi 27 mai minuit, le géant du numérique Meta, propriétaire des réseaux sociaux Facebook, Instagram et WhatsApp, a commencé à mettre à profit les données publiques de ses utilisateurs européens pour perfectionner son intelligence artificielle, Meta AI. Dans un communiqué publié à la mi-avril, le président du groupe et milliardaire Mark Zuckerberg a souligné la nécessité de nourrir les IA : « Il est important que nos modèles d’IA génératives soient entraînés sur une multitude de données afin qu’ils puissent comprendre les nuances et la complexité incroyables et diverses qui composent les communautés européennes ».
L’entreprise américaine laisse tout de même la possibilité à ses utilisateurs de s’opposer à l’utilisation de leurs données via un mail envoyé ou dans la rubrique « Centre de confidentialité » des applications. L’usager doit alors indiquer son refus de fournir ses données personnelles auquel cas, l’application s’en saisit automatiquement. Cependant, toutes les données ne sont pas concernées. Seules les publications et les conversations publiques (textes, photos, commentaires…) des utilisateurs de plus de 18 ans peuvent être récupérées. Les conversations privées sur WhatsApp ne peuvent pas être utilisées.
« C’est une forme de « dark pattern » », assure Maxime Derian, spécialiste de l’intelligence artificielle et directeur de l’Heruka-AI Consulting. « C’est-à-dire que l’on crée une démarche compliquée pour décourager les utilisateurs. Ce que fait ici Meta va conduire à ce que de nombreux utilisateurs n’aient pas recours à l’interdiction d’utilisation des données. C’est l’objectif visé par l’entreprise ».
Un flou juridique européen
Dès lors, la question juridique entre en jeu. Si l’entreprise américaine offre bien la possibilité à ses usagers de s’opposer au siphonnage de données, c’est à l’utilisateur de faire les démarches. Sans action de sa part, la récupération des données est automatique.
La fonctionnalité d’IA de Meta a pourtant mis du temps avant d’arriver sur le Vieux continent en raison des réglementations européennes notamment le règlement général sur la protection des données (RGPD) en vigueur depuis sept ans. Mais un flou juridique a offert la possibilité à l’entreprise californienne de contourner le RGPD. Meta s’appuie sur un avis du comité européen de protection des données (CEPD) qui indique que « l’intérêt légitime » peut constituer une base légale valable pour l’utilisation de données personnelles pour le développement et le déploiement de modèles d’IA dans l’UE.
« L’Union européenne fait ce qu’elle peut pour légiférer, mais le nœud du problème c’est l’absence de souveraineté numérique », révèle Maxime Derian. « Comment contrôler lorsque l’on n’est pas propriétaire des brevets ? Le train de retard de la législation européenne est tributaire des technologies qui ne sont pas les nôtres. Si nous avions des géants européens, alors il serait beaucoup plus simple de réglementer ».
« C’est à nous de leur faire confiance »
Car pour se développer, les intelligences artificielles ont besoin d’être alimentées continuellement. Selon une étude publiée par Surfshark, spécialiste néerlandais de la cybersécurité, et mise en lumière par le site Capital, l’intelligence artificielle de Meta est la plus gourmande en données et de loin parmi les onze robots conversationnels les plus populaires. « Ce sont des junkies de la data, ils ont besoin de se nourrir continuellement », souligne Maxime Derian. « Ils ont besoin de données classiques comme des lois ou des œuvres, mais aussi de données personnelles qui sont très qualitatives pour les IA ».
La grande majorité du chiffre d’affaires de Meta provient de la vente de données de ses utilisateurs à des clients. Ainsi, la garantie que les données récupérées ne soient pas utilisées à des fins lucratives, mais uniquement à l’entraînement de l’IA pose question. « Les données qui vont arriver chez Meta AI vont rester ad vitam aeternam », prévient Maxime Derian. « Il n’y a aucune inspection au sein de l’entreprise. C’est à nous de leur faire confiance ».